Un jour de 1943
Un samedi de mai 1985, au petit matin, je partis me balader avec Ulysse, mon chien, dans une belle forêt normande. Il courait d’un air joyeux, traversant les tapis de fleurs et poursuivant les lapins qui avaient le malheur de croiser notre chemin. Son pelage roux se fondait dans les herbes hautes.
C’était un matin nuageux, je sentais la brise frôler mes joues et le vent soulever mes boucles brunes. Tout à coup, Ulysse me sauta dessus et me fit tomber par terre. Je ris aux éclats et Ulysse se mit à me lécher le visage. Je m’allongeai au sol et regardai les nuages en rêvassant. Je me relevai après quelques minutes d’observation pour continuer mon chemin.
Quelques instants après être repartie, je m’aperçus que mon médaillon auquel je tenais tant avait disparu. C’était un médaillon appartenant à ma famille. Il avait été transmis de génération en génération. Mon père me l’avait donné il y a 5 ans, lorsque j’avais 10 ans. Un lion était gravé sur la face avant et au dos, il y avait notre nom de famille : « DUPUY ».
Prise de panique, je me mis à fouiller partout autour de moi sans succès. L’angoisse m’envahit à l’idée de ne jamais retrouver ce précieux objet. Loin de me laisser abattre, je partis à la quête du pendentif, avec mon fidèle Ulysse.
- « Nous allons retourner sur nos pas, et je compte sur toi pour m’aider à retrouver mon médaillon ! » dis-je à Ulysse d’un enthousiasme étonnant.
Il me regarda alors d’un air interloqué. Je retournai une à une les pierres du sentier, les branchages et les herbes hautes avec la plus grande attention. Je passai un bon moment à chercher dans tout les endroits possibles mais il faisait presque nuit et ce n’était pas facile.
Peu à peu je perdis espoir et je sentis les larmes montées.
Mais pourquoi Ulysse n’arrête t’il pas d’aboyer ? me demandai-je agacée.
Je le vis alors, assis devant un étrange cercle tracé au sol, comme s’ il attendait que je vienne à lui. Je m’approchai alors interloquée. C’était juste un cercle, tout ce qu’il y a de plus banal, mais pourtant il m’intriguait. Je m’approchai et rentrai alors dans le cercle.
Tout à coup, quelque chose de bizarre se produisit. Je fus comme emportée. Tout était flou autour de moi. Je ne voyais plus rien, je paniquais.
Soudain, je retombai dans un champ sans savoir où j’étais. Ulysse avait disparu. J’essayai de le chercher mais sans succès. Je me relevai alors et, prise de panique, je commençai à courir pour essayer de retrouver la forêt.
Au loin, j’aperçus un jeune homme. Je décidai donc d’aller lui demander mon chemin.
Il était grand, avait les cheveux bruns bouclés et les yeux bleus. Il devait avoir une vingtaine d’années et portait un uniforme.
Il avait l’air très étonné de me voir.
- « Qui êtes vous ? » me demanda t’il .
- « Alice et vous ?
- « Je m’appelle Joseph .
- « Pourquoi portez vous un uniforme ? »
- « Et vous, que faites vous par ici en temps de guerre mademoiselle ? Vous devez absolument partir ! » me dit-il.
- « Comment ça en temps de guerre ? » lui répondis-je déconcertée.
- « Et bien, nous sommes en 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale ! »
Je me figeai et tout s’éclaircit dans ma tête : j’avais voyagé à travers le temps. J’étais 42 ans plus tôt que l’année où j’étais censé me trouver.
Mais comment était ce possible ?
Je fus tout à coup interrompu dans mes pensées par de grandes explosions. Joseph cria :
- « Les Allemands ! »
Il me prit par le bras et nous commençâmes à courir vers une épaisse forêt. Une fois cachée dans les buissons, j’essayai d’en savoir un peu plus sur Joseph mais il me fit signe de me taire. A cet instant, deux soldats, sûrement Allemands, fouillaient dans les feuillages, comme si ils étaient à la recherche de quelqu’un. J’étais terrifiée. Je regardai Joseph qui, malgré sa tentative de le cacher, avait, je pense, aussi peur que moi. Découragés de n’avoir trouvé personne, les deux Allemands partirent, tout en murmurant quelques mots qui, à mon avis étaient des insultes.
Après nous être assurés qu’ils étaient bien partis, nous sortîmes de notre cachette. Joseph, entama la conversation avant que j’eus le temps de le faire :
- « Je viens de m’échapper d’une prison qui se trouve de l’autre côté de la colline. Les Allemands me cherchent ils veulent ma peau »
Entendre cela me donna des frissons. Il avait dû endurer tant de choses ! C’est après cette révélation que je remarquai l’état pitoyable dans lequel était Joseph. Il était tellement maigre qu’on pouvait voir toutes ses veines. Il avait des cicatrices qui recouvraient tout son visage, et sûrement aussi son corps. Cela faisait à mon avis plusieurs jours qu’il n’avait pas mangé. Je m’imaginais les conditions de vie des soldats français dans les prisons allemandes. Cela devait être horrible. Je n’osai pas lui en parler.
Après quelques instants de marche, nous arrivâmes dans un petit village presque désert. Certaines maisons avaient été détruites. Celles qui avaient résisté à l’envahisseur contenaient quelques personnes, faibles et assombries par cette effroyable période. Elles nous regardaient arriver, pensant trouver quelques instants de réconfort de par notre présence. Des enfants pleuraient, et leurs mères tout en voulant les consoler, versaient à leur tour, de chaudes larmes qui coulaient sur leurs joues. Joseph, probablement habitué à voir des scènes similaires, me dit de ne pas y faire attention. Laisser ces pauvres gens dans la misère me déchira le coeur.
Soudain, trois hommes en uniforme déboulèrent devant nous. Joseph, compris tout de suite ce qui se passait et me poussa sur notre gauche pour me cacher derrière un mur. Joseph lui, resta immobile, prêt à affronter son destin. Un des trois soldats pointait une arme sur lui. J’étais terrorisée. Ils n’allaient pas oser faire ça ? Ce moment me parut interminable. Après une très forte détonation, je vis Joseph s’effondrer sur le sol. Les Allemands, partirent en riant. Joseph étais à moitié inconscient, étendu sur le sol et encore plus livide qu’au moment de notre rencontre. Tandis qu’il se vidait de son sang, j’appelai à l’aide mais personne ne vint. Joseph entrouvrit les yeux et me dit :
- « C’est trop tard Alice...
Je le regardais dans les yeux, incapable de faire quoique ce soit, mis à part de faire couler quelques larmes sur mes joues. Avec les quelques forces qu’il lui restait, il sortit un objet de sa poche.
- « Garde le, je te l’offre » murmura t’il.
C’était un médaillon, avec sur la face avant un lion, et sur la face arrière, le nom « DUPUY » était gravé. Je regardai Joseph, choquée, alors que venait son dernier souffle. C’est alors que je perdis connaissance à mon tour.
Je fus réveillée par le doux chant des oiseaux. J’ouvris doucement les yeux, et reconnu la belle forêt normande dans laquelle je m’étais endormie. Tout cela n’était alors qu’un mauvais rêve. Je repensa à Joseph. Bien qu’il n’eut jamais existé, beaucoup de soldats ont sûrement connu le même sort.
En tournant la tête, je vis Ulysse, qui tenait dans sa bouche, mon précieux médaillon.