La vie est rude pour un homme pauvre

Par HEDWIGE MARIE ROUILLE D ORFEUIL, publié le mardi 11 mai 2021 15:31 - Mis à jour le lundi 17 mai 2021 14:47
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Nouvelle d'Éloïse Sudrie 2de5

La vie est rude pour un homme pauvre.

Une casquette gavroche enfoncée sur la tête, un homme se tenait devant le kiosque à journaux. Il n’était point grand, d’une allure frêle et d’un teint pâle. Il n’avait pas l’air de lire, mais plutôt d’essayer de déchiffrer l’article d’un journal exposé sur un des portiques. Le vendeur, un vieil homme assis sur un tabouret, l’observait de manière nonchalante, agacé de le voir lire sans rien acheter. Celui-ci se leva et grommela en s’avançant vers lui : « Si tu veux le lire il faut l’acheter ! Maintenant si tu ne veux pas, vas-t’en ! ». L’homme sursauta et tenta d’expliquer au vendeur pourquoi il prenait autant de temps à lire, mais voyant que celui-ci ne l’écoutait pas, il tourna les talons et partit vers le centre ville. L’homme vagabondait dans les rues, cherchant une quelconque animation ou occupation avant de rentrer chez lui. Il s’attardait devant des vitrines, guettant avec envie les viennoiseries de la boulangerie du quartier. Il traversait des terrasses, sur lesquelles les femmes discutaient bruyamment et avec joie de l’achat de leur dernière robe de soie. Il vint alors à penser : « Lyon est une belle ville ! ». Puis il arriva devant un immeuble miteux, au fond d’une ruelle et ajouta « lorsque l’on a les moyens… ». Il entra dans le bâtiment, laissant échapper un soupir désespéré, et monta les étroits escaliers l’amenant à l’étage. Il vivait ici. Dans une partie de Lyon de l’on ne soupçonnait exister. C’était ça, vivre en ville sans un sou en poche.

N’ayant pas pu aller à l’école, il manquait d’éducation, ne savait pas lire et à peine compter ! Tout cela ne l’aidait point à trouver un travail fixe. Il vivait seulement grâce aux quelques sous que lui avait laissé ses parents en mourant, qu’il avait placé de côté.

Il entra alors dans son appartement. C’était une pièce assez sombre, qu’une petite fenêtre venait éclairer. Il y avait un vieux lit, dans un coin, qui paraissait si dur que l’on aurait pu s’en servir de table, et une chaise en osier dans un autre coin, qui servait, semblait-t-il, de penderie. Un évier et une petite table en bois constituaient ce qui devait être la cuisine. L’homme semblait accablé. Il enleva sa casquette et la posa sur sa « penderie ». Il se laissa tomber sur le lit. Aïe ! Puis après un moment, le temps de trouver une position à peu près confortable, il s’endormit.

Le lendemain, il décida de sortir à nouveau. Il avait entendu parler d’une certaine brocante, et comptait bien y dénicher quelques trésors (et il ne cru pas si bien dire!). Il prit dans sa tirelire un peu d’argent et partit. Arrivant sur place, il fut d’abord étonné de voir qu’il y avait très peu de gens. Puis il pensa « Pourquoi les gens se contenterait d’acheter de vieilles affaires… ». Il entra dans la petite boutique. Elle sentait le vieux bois et aurait bien eu besoin d’un peu d’air frais. Il y avait ici, plus d’objets que l’on aurait cru pouvoir en exister. Le plafond était haut, laissant se dresser de vieilles armoires et bibliothèques de toute leur hauteur. Des lustres était suspendus au plafond, de toutes les formes et de toutes les tailles. On trouvait des objets du plus banal, comme des livres, au plus extravagant, comme une coupe-haricots à manivelle – oui oui ! –. Il y avait aussi une partie de la boutique où étaient exposés un appareil photographique et deux gramophones, que l’homme se contenta de regarder d’assez loin, pour ne pas risquer de les casser et de devoir les repayer une fortune, étant des objets ultramodernes. Il se tourna donc vers la partie de la boutique qui exposait des bibliothèques remplies de livres, plus accessible pour ses moyens, avec la ferme intention de s’apprendre à lire seul. Il regardait sans trop savoir quoi prendre, puisqu’il n’avait aucune idée de ce dont ces livres parlaient. Il s’attacha alors à d’autres critères, comme leur couleur, ou leur couverture. Il vit qu’une petite pile était vendue en lot, pour le prix d’un seul roman. Il décida alors d’acheter celle-ci. Il paya ce qu’il devait au vendeur, et sorti aussitôt de la boutique, tel un gamin qui avait hâte de se retrouver seul à seul avec son cadeau. Il marcha non pas en direction de chez lui, mais en direction du Parc de la Tête d’Or, où il espérait trouver un banc sur lequel il pourrait commencer à feuilleter ses bouquins. Arrivé là-bas, il choisit un banc et s’assit. Il ne pas par où commencer, mais il était en était pressé. Il examina la pile, et prit un livre avec une couverture qui lui plaisait. Rouge bordeaux, les reliures et les titres inscrits en doré, ce livre semblait l’appeler à étancher sa soif de lecture. Délicatement, il prit soin d’épousseter avec sa main la couverture, avant de l’ouvrir. L’homme ouvrit de grand yeux. Ce livre. Il n’était pas comme ceux qu’il avait pu ouvrir jusqu’à présent. Non. Celui-ci, sous sa couverture, cachait quelque chose. On y avait creusé, au centre des pages, un rectangle, créant ainsi un compartiment secret. Dans cette cachette, était déposé un collier. Orné de grosses pierres bleues, taillées en forme de gouttes d’eau, et entourées d’argent, il était somptueux. L’homme prit peur et referma celui-ci immédiatement. Quelqu’un l’avait-il vu ? Il ne voulait pas que l’on croit qu’il l’avait volé ! A qui pouvait bien appartenir ce bijou ? Et pourquoi l’avoir laissé dans ce livre en le vendant donc pour, probablement, pas grand-chose ? Il rassembla les livres en une pile, prenant soin de cacher celui-ci au milieu des autres, et rentra chez lui aussi vite qu’il le put. Il observa le bijou toute la soirée, essayant d’imaginer qui était son propriétaire ou dans quelles circonstances il s’était retrouvé vendu parmi ces livres. Il finit par aller se coucher, car le lendemain, il était bien décidé à aller voir quelqu’un qui pourrait l’aider.

Il se leva de bonne heure et s’habilla, troquant sa chemise usée et ses bretelles contre une nouvelle chemise et une belle veste, qu’il gardait pour certaines occasions. Il prit sous son bras le livre et se dirigea ainsi vers le centre ville. Il chercha une bijouterie et, dès qu’il en vit une, il entra. Il n’avait pas l’habitude de se trouver dans un endroit qui brillait de toute part et ne laissait à l’œil aucun moyen d’ignorer la richesse qui l’entourait. Tout était luxe. Tout était cher. Et il n’avait pas besoin de regarder les prix pour le savoir. Debout derrière le comptoir, un homme examinait attentivement une pierre bleue à travers un monocle. Il était plutôt grand et avait une moustache brune et épaisse, dont les extrémités étaient recourbées. Il releva les yeux vers son client et déposa délicatement la pierre précieuse qu’il tenait sur un petit coussin. « Même une pierre a le droit a plus de confort que moi » pensa alors l’homme qui tenait toujours son livre sous son bras. Le bijoutier s’avança vers lui et s’exclama : « En quoi puis-je vous aider mon bon monsieur ? »
- Je ne sais pas vraiment… répondit l’homme, mal à l’aise.

Le vendeur, confus, fronça les sourcils : « Expliquez moi votre situation, et je tenterai de vous venir en aide comme je le peux. »

- J’ai acheté ce livre dans une brocante, répondit l’autre en le tendant vers le bijoutier, mais il se trouve qu’il renfermait plus que des simples mots.

Il ouvrit alors celui-ci, laissant apparaître sous les yeux surpris du boutiquier, et qui se mirent alors à briller, le collier. Celui-ci prit soin de le sortir délicatement de sa cachette fabriquée à l’aide d’un tissu et partit dans l’arrière boutique, faisant signe à son client de venir avec lui.
- Comment vous appelez-vous cher monsieur ? Demanda le bijoutier.

- Simon, Simon Carlier. Répondit-il.

Le boutiquier acquiesça lentement, les yeux rivés sur le collier. Il l’avait posé sur une grande table, et avait dirigé le faisceau lumineux de sa lampe sur celui-ci. A l’aide de son monocle, il commença alors à inspecter les pierres du bijou. Simon attendait sur le côté, observant attentivement les faits et gestes du professionnel. Il était impatient. Il en avait rêvé toute la nuit. Ce bijou était la plus belle chose qui pouvait lui arriver. Grâce à sa vente il pourrait s’acheter autant de livres qu’il le voulait. Que disait-il ! Il pourrait s’acheter bien plus que des livres ! Un nouvel appartement par exemple. Ou même une maison ! Avec un lit confortable. Non deux ! Un dans une chambre, et l’autre dans une deuxième chambre ! Pendant qu’il rêvait, le bijoutier marmonnait de temps à autre quelque chose d’inaudible et changeait de point de vue. Après quelques minutes, le bijoutier se redressa, glissa son monocle dans la poche de sa veste et éteignit la petite lampe de bureau. Il s’éclaircit la gorge, voulant capter l’attention de Simon, qui était perdu dans ses pensées. Il s’exprima alors d’un ton grave : « Monsieur Carlier, je suis désolé de vous l’annoncer… mais votre bijou a tout l’air d’un bijou de pacotille... ». Simon ne comprenait pas. Pacotille ? Le bijoutier sembla lire dans ses pensées et continua : « Les pierres sont très réalistes, il est vrai que l’on pourrait croire qu’elles sont précieuses, mais je regrette, elles ne le sont point. ». Simon bégaya « Je… je vois... ». Ils revinrent dans l’avant de la boutique et le bijoutier déposa le collier dans sa cachette, désormais sans plus aucune délicatesse. Il tendit le livre à son propriétaire « Bonne journée à vous ! », puis se remit directement au travail. Il quitta la boutique, sans un mot, haineux du manque de compassion du boutiquier et du faux espoir que ce bijou avait fait naître chez lui. En passant sur le pont, il prit le livre entre ses mains. Il s’arrêta de marcher, prenant le temps de l’observer. Sa couverture rouge bordeaux, ses reliures dorées, ses pages jaunies par le temps, ses inscriptions gravées qui lui restaient impossible à déchiffrer. Comment pouvait-on haïr un simple objet ? Il regarda alors le Rhône qui s’agitait sous le pont et, d’un geste colérique, il jeta le livre et son contenu par dessus la barrière. Il le fixa, sombrer lentement dans ces eaux, et, lorsqu’il ne put plus en voir un seul morceau, il reprit sa marche, les mains dans les poches et piétinant tout ce sur quoi il marchait.

La vie est rude pour un homme pauvre.

 

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