Jocaste aux Enfers (3)

Par HEDWIGE MARIE ROUILLE D ORFEUIL, publié le mardi 11 juin 2024 16:07 - Mis à jour le mardi 11 juin 2024 17:04
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Récit de Camille

La culpabilité me rongeait. La prophétie que j'avais passée ma vie à combattre s'était réalisée malgré moi. J'avais vu les signes, les indices mais je les avais ignorés car, pour moi, mon fils était mort par ma faute et mon mari avait été tué par un vagabond de passage.

J'aperçus l'entrée des Enfers. Les âmes qui n'avaient pas d'obole erraient sur le rivage. Je tenais fermement ma pièce dans ma main. Ces âmes étaient perdues. Certaines avaient le regard vide et demandaient frénétiquement une pièce. Je sentis quelque chose qui tirait ma robe. Je baissai les yeux et vis une petite fille. Elle n'avait pas plus de sept ans. Je me demandai comment une si jeune fille se trouvait aux Enfers. Elle m'interpela :

La petite fille : Bonjour Madame, je suis sur le bord de ce rivage depuis des jours. Personne de ma famille ne m'a laissé d'obole. Ils ont dû oublier. Auriez-vous une pièce en plus pour moi ?

Cette petite fille était seule et personne ne semblait la chercher parmi les âmes. Elle semblait si fragile... Elle continua :

La petite fille : Si vous n'en avez pas, ce n'est pas grave. Ne vous tracassez pas.

Jocaste : Tiens, mon frère m'avait données deux pièces. Prends celle-ci et traverse le fleuve

La petite fille : Merci beaucoup, dit-elle en me serrant très fort dans ses bras.

Elle partit donner sa pièce à Charon et je ne la revis plus. J'essuyai la larme solitaire qui coulait de ma joue et je continuai mon chemin.

J'attendis mon tour et tendis ma pièce à Charon. Il me donnait froid dans le dos, son visage était abimé et ses vêtements déchirés trempés par l'eau du fleuve. La traversée ne fut pas longue. Tous préparaient des stratagèmes pour survivre au Gardien des Enfers. Je descendis et me retrouvai face à Cerbère et je sortis de ma poche un gâteau de miel fait par la cuisinière du palais et le lui donnai. Il le mangea goulument et me laissa passer. Je longeai le Cocyte et traversai le Champ des Enfants Morts en Naissant. Cela me rappela Oedipe, mon petit garçon. Celui avec qui j'ai fait l'impensable. Les larmes me montèrent aux yeux sans que je puisse les contrôler.

Je continuai ma traversée qui me parut durer des jours. Je cherchais Laïus. Il me fallait le revoir et lui conter que la prophétie s'était réalisée. J'arrivai dans le Champ des Pleurs, je naviguai entre les arbres jusqu'à entendre une voix que je connaissais si bien ! Laïus, mon mari ! Je courus vers lui. Lorsqu'il me vit, ses yeux s'écarquillèrent. Il se leva. Je me jetai dans ses bras et j'éclatai en sanglots incontrôlables. Il me réconforta :

Laïs : Allons ma chérie, ne pleure plus. tout cela est fini.

Entre deux sanglots, j'expliquai :

Jocaste : La prophétie s'est réalisée malgré tous nos efforts. Oedipe, ton tueur, mon mari...

Il me coupa la parole et compléta dans un soupir :

Laïs : est notre fils, je sais. J'ai essayé de te prévenir à plusieurs reprises. D'abord sur les remparts avec les deux soldats...

Je le coupai, toujours avec des larmes dans les yeux.

Jocaste : J'en étais sure. Ces deux soldats ne mentaient pas. Le plus jeune me rappelait tant notre fils...

Il continua :

Laïs : Puis, lors de votre nuit de noce, j'ai infiltré tes rêves mais encore une fois, j'ai échoué lamentablement.

Jocaste : Ne dis pas cela Laïus, si tu n'as pas réussi, c'est à cause des dieux. Ils ont créé cette machine infernale qu'ils appellent le Destin ! Et ils ont laissé ces engrenages nous détruire l'un après l'autre, affirmai-je en pleurant.

Laïs : Allons Jocaste, ne pleurons plus, nous sommes enfin réunis et nous allons pouvoir vivre notre seconde vie ici.

Nous nous enlaçâmes et nous partîmes vers le Champ des Asphodèles pour passer notre éternité ensemble, enfin libérés de la Machine dont les rouages créés par les dieux ont détruit ma vie.
 

 

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