Jocaste aux Enfers (2)

Par HEDWIGE MARIE ROUILLE D ORFEUIL, publié le mardi 11 juin 2024 13:39 - Mis à jour le mardi 11 juin 2024 17:23
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Récit de Clara et Thaïs

[lu par Clara]
J'ouvris les yeux et fus submergée par la noirceur des lieux. La tête me tournait et je ne comprenai pas ce qui m'arrivait. En observant les alentours, je réalisai que je me trouvais dans un endroit qui m'était totalement inconnu. Soudainement, je me souvins de l'atrocité de ma vie antérieure. Je compris alors que j'étais passée de vie à trépas. Les rouages de mon cerveau se mirent lentement en marge. Les souvenirs que j'endiguais inconsciemment en moi me revinrent par vagues impétueuses : Oedipe, le berger, mon mari, mon fils, l'écharpe et moi-même, pendue !

[lu par Thaïs]
Terrifiée, j'avançais précipitamment le long des berges de ce fleuve profond et mortel qu'était l'Achéron. Mes pas hâtifs me menèrent à Charon, le passeur des Enfers. Il me fixait de ses yeux sans vie, attendant que je lui donne l'obole qui me permît de traverser le Styx à ses côtés. Le Nocher des Enfers, fidèle à lui-même, exécutait sa tâche sans expression ni émotions. Après que j'eus traversé ce fleuve rempli de haine, j'arrivai sur la terre ferme et j'aperçus au loin une silhouette luciférienne.

Tétanisée, je réalisai qu'il s'approchait à pas lents. L'air me manquait et j'étouffais à l'idée de me retrouver face à lui. Peu à peu, l'ombre devint ferme et la forme devint distincte. De mon vivant, je me faisais une conception bien particulière de son apparence. En le voyant, je me rendis compte qu'il était bien différent de ce que j'imaginais ; son corps robuste tout en muscles  était surplombé de trois têtes de chiens enragés, chacune dotée de crocs acérés, plusieurs têtes de serpents agressifs étaient visibles sur son échine, et son impressionnante queue de dragon battait l'air impatiemment. Tout à coup, il m'adressa la parole, ce qui me fit frissonner.

Cerbère :   Et voilà  la fameuse qui n'a pu échapper à son destin, fit-il sur un ton sardonique.

Jocaste : Oui, répondis-je faiblement. Un rire amer accueillit ma réponse.

Je tendis les bras et ouvris les mains sur le fameux gâteau au miel que Cerbère appréciait tant. Il le saisit entre ses crocs affutés, et fut ainsi apaisé, ce qui me permit de continuer ma route le long du Cocyte. Les âmes qui erraient sur ses rives me mettaient mal à l'aise, alors, j'accélérai le pas. Je fus en un rien de temps face aux piliers d'acier massif qui fermaient l'entrée du lieu le plus terrible et redouté des Enfers : le Tartare.

Ma curiosité l'emportait et je passai la tête dans l'entrée de ce terrible endroit. Ce que je vis me glaça d'effroi : une silhouette sulfureuse m'observait de ses yeux injectées de sang et je compris : une Erynie se tenait face à moi, de grandes ailes menaçantes étaient déployées dans son dos et elle tenait un fouet à la main. Cette vision m'horrifia, et je partis en courant comme si --si je puis dire-- ma vie en dépendait.

Dans ma fuite, je vis au loin une ombre qui marchait faiblement le long des remparts du Tartare. Je m'approchais et compris : Laïs ! C'était Laïus ! Je criais :

Jocaste : Laïus ! Mon cher, regarde moi !

Laïus : Jocaste ? Jocaste, est-ce bien toi ?

Jocaste : Oui, me voilà ! Oh, si tu savais les horreurs auxquelles j'ai fait face ! Oedipe, celui qui a résolu l'énigme du Sphynx et qui s'est marié à moi était en réalité

Laïus : notre fils, je sais....

Je le regardai sans comprendre, puis les larmes me montèrent aux yeux. Je lui tombai dans les bras, mes sanglots résonnant dans cet endroit si sombre. J'étais perdue dans les méandres de mon coeur autant que dans les labyrinthes des Enfers.  

 

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