Célestin

Par HEDWIGE MARIE ROUILLE D ORFEUIL, publié le mardi 8 février 2022 16:22 - Mis à jour le jeudi 10 février 2022 09:47
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Nouvelle écrite par Johan W. 2de

Chère Marie, 

La lettre que tu lis aujourd’hui n’a pas été écrite par Célestin mais par Jean. Malheureusement il ne pourra point en écrire de nouvelles. Cette lettre est l'une de ses dernières volontés. Il voulait que je te narre ses dernières heures de vie.

Le 10 mars 1916, l’ordre nous fut donné de passer à l’assaut le lendemain à midi pile. Le pilonnage des lignes adverses aurait dû commencer à 10h pour finir à 11h40 pour surprendre les allemands lorsqu’ils se remettraient à leur postes. Cependant, durant la nuit, nous fûmes réveillés par une pluie d’obus sans précédent, on n'avait jamais entendu un tel vacarme. Célestin et moi, nous nous collions, en protégeant nos visages avec nos mains. Le pilonnage dura 2h30. Après ce déluge d’obus, viennent les fameuses giboulées de mars, inondant les tranchées et rendant le no man’sland encore plus impraticable. L’ attaque d'artillerie annonça une venue des boches et surtout empêcha le plan de l’état major. A l’aube, les allemands attaquent mais aucun ne réussit à s'avancer à moins de 20 mètres de notre tranchée. Ce fut une boucherie que je ne souhaite de voir à personne. Célestin, bon tireur, en a abattu une quinzaine avec son fusil. L’attaque fut repoussée. En voyant les corps des allemands gisant dans la boue, eux nos ennemis de toujours, je fus pris de compassion. Célestin lui ne montra aucun signe de compassion, me disant qu’il s’y était fait. Cependant, il me demanda alors avec une voix plus aiguë que la normale si je pensais que ce massacre s'arrêterait un jour. Je préférai garder le silence au vu du pessimisme collectif dans les tranchées. Vers 18 heures, nous recevons l’ordre de nous préparer pour une attaque de grande envergure le lendemain à 10 h. Tout le reste de la journée, il resta silencieux en montant et démontant son fusil et en aiguisant sa baïonnette. Quelquefois je l'entendais dire des prières pour son âme. Le soir nous reçûmes le souper plus copieux que les jours normaux. Tout le monde dans cette tranchée savait ce que signifiait  un repas copieux dans une tranchée, alors certains jouaient de leurs instruments faits de bric et de broc. Célestin lui, s'était confectionné une guitare avec un casque boche. Il était particulièrement enjoué ce soir-là. Avant de s'endormir, il me confia qu’il avait un mauvais pressentiment pour le lendemain et que la seule chose à quoi il pensait, c’était de vous revoir, toi et votre fils. J’entendis Célestin pleurer durant la nuit, c’était la première fois en deux ans que Célestin montra un signe de faiblesse. Dès huit heures, soixante-quinze Français jouèrent leur mélodie de la mort. Du vin rouge nous fut distribué pour nous donner du courage, car selon Célestin, le vin rouge nous permettait de devenir téméraires. Il pleura à nouveau,  l'artillerie se tut, un silence religieux s’installa durant dix secondes qui nous parurent une éternité. Puis les gradés sifflèrent, des cris : « Pour la France, en avant!! » retentirent. Tout s'accéléra, les hommes montèrent sur les échelles, les premières rafales décimèrent les premières lignes. Par la grâce de Dieu, nous partions  dans les derniers. Nous devions courir entre nos compagnons qui tombèrent avant notre passage. Célestin s’enfonça une jambe dans la boue, je l’aidai à en ressortir, nous poursuivirent notre course. Malheureusement, il se prit une rafale de mitraillette dans sa jambe gauche. Je le tira dans un cratère d’obus et les coups de feu cessèrent.

Ton époux était blessé, nos compagnons morts et pour finir nous fûmes bloqués. Ce fut alors que Célestin, ton mari, me fit promettre de t'envoyer cette lettre lorsque je reviendrais dans nos tranchées. Je lui répondis : si seulement. Célestin délira durant toute la nuit. Le bruit du moteur de l’avion du baron rouge et celui de René Fonck nous sortirent de notre sommeil. Peu de temps après,  Célestin mourut, face au lever de soleil. Il me dit alors: “Jean tu as toujours été mon ami, mon meilleur ami. Sans to, je n’aurais pas pu tenir autant de temps dans cet enfer.” Il s'adressa directement à toi à voix haute: « Dis à notre  fils que son père est un héros ». Et il ajouta : « Il ne faut jamais qu’il s'engage dans l’armée. Ma chérie, je meurs aujourd’hui en héros pour la nation. J'espère te revoir dans un autre monde. À demain, ma chérie, dans un autre monde, je l’espère ». Puis, durant la nuit suivante, un obus tomba sur ce cratère, pour ensevelir Célestin.

Quant à moi, Marie, j’ai écrit cette lettre peu après être revenu dans ma tranchée la nuit. Je te promets qu'après la guerre, je ferai tout mon possible pour retrouver le corps d’un mari, d’un père et de mon meilleur ami. 

Au revoir Marie, à bientôt  je l’espère.

                       Cordialement,

Jean Martin

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